Exclusivement fiscal : de question en réponse…
26 août 2019Les questions posées à l’Assemblée nationale ou au Sénat forment un vaste fourre-tout, Bercy étant interrogé plus souvent qu’à son tour, témoignage d’une addiction fiscale à laquelle la France n’est pas près d’échapper. Deux d’entre elles illustrent parfaitement des échanges qui ne visent qu’à trouver ou parer l’astuce. Un jeu de dupes navrant, qui ne fait la gloire de personne : d’une part, il distrait l’ensemble des acteurs de questions plus importantes et, d’autre part, il conduit à des réactions épidermiques. Rien de très raisonnable.
Commençons par la question transmise par le sénateur Montaugé, qui vient de trouver réponse tout récemment. Officiellement, le Ministère de l’économie et des finances est interrogé sur les modalités d’attribution du capital issu des contrats d’assurance vie. Mais ne vous y trompez pas ! La question est à but exclusivement fiscal…
Au cas particulier, il s’agissait d’un contrat souscrit avant le 20 novembre 1991 et abondé avant et depuis le 13 octobre 1998, ce qui avait pour conséquence de le soumettre, au regard de l’âge de l’assuré, à deux cadres différents :
– les versements antérieurs au 13 octobre 1998, bénéficiant, époque bénie, d’une exonération totale
– et les versements effectués depuis le 13 octobre 1998, soumis aux règles de taxation de l’article 990 I du CGI (avec tout de même un abattement de 152 500 € par bénéficiaires).
Contrat à la découpe !
Deux compartiments en fiscalité ? Qu’à cela ne tienne, ni une, ni deux, compartimentons !
Et voilà que l’auteur de la question met en cause la pratique du professionnel – ce qui, bien entendu, ne me choque pas en soi – en demandant « si des dispositions régissent clairement les règles de répartition entre les bénéficiaires du capital d’une assurance vie », car « en pareille situation, l’assureur considère le contrat comme un tout indissociable », avec pour conséquence que « la totalité du capital constitué doit être attribuée selon une clé de répartition en pourcentage appliquée à la valeur globale acquise in fine ».
S’ensuit une aimable proposition, teintée d’une logique fumeuse : « il semblerait donc logique que le disposant puisse traiter distinctement et à son gré chaque compartiment, par exemple en désignant un bénéficiaire pour la valeur acquise par les versements exonérés, le surplus (fiscalisé) revenant à l’ensemble des bénéficiaires (en pourcentages) avec application pour chacun de l’abattement susvisé ». Qui ne tente rien…
En bloc !
Mais tenter ne signifie pas réussir. Et à Bercy, nul doute que la question a fait sourire. Et deux fois certainement : à la lecture de la question, et lors de la rédaction de la réponse, au goût de soupe à la grimace…
Figurez-vous – si vous en doutiez – que l’assureur a bel et bien raison, et que la tentative sous-jacente pour distinguer le sort des capitaux au regard de leur fiscalité va faire long feu.
« L’assiette soumise au prélèvement est ainsi déterminée à l’échelle du contrat, qui est indissociable ». D’où il ressort que « l’assiette imposable au nom de chacun est donc déterminée en fonction de sa part dans l’ensemble des sommes versées » et que « les stipulations du contrat ou la volonté éventuelle du défunt de répartir ces sommes entre les bénéficiaires en fonction de la date de leur versement ne sont pas susceptibles de déroger à ces règles et demeurent ainsi sans effets sur le montant d’impôt dû par chacun » (RM Montaugé, JOS 8 août 2019, p. 4215, n° 00450).
Et pour le prix, Bercy vous offre la référence au BOFiP sans supplément : BOI-TCAS-AUT-60, n° 210 – dont je conseille la lecture aux insomniaques, à titre curatif.
Qu’écrire sinon qu’il n’y a rien d’étonnant à ce qu’en cas de pluralité de bénéficiaires l’assiette taxable soit répartie pour chaque bénéficiaire selon la part qui lui revient, la logique du droit des assurances s’imposant naturellement. Il était vain d’imaginer une autre possibilité.
Plutôt plusieurs contrats…
Il aurait évidemment été de bon ton, en matière de fiscalité bénéficiaire tout au moins, de distinguer les capitaux en souscrivant plusieurs contrats – chacun pouvant alors avoir un ou plusieurs bénéficiaires –, là où les compartiments feront donc nécessairement cause – et clause – commune.
Petit rappel, néanmoins, sur l’éventuelle opportunité fiscale d’effectuer un versement complémentaire sur un contrat souscrit avant le 20 novembre 1991 : en effet, les dispositions de l’article 990 I du CGI s’appliquent aux sommes qui correspondent à des primes versées sur un tel contrat depuis le 13 octobre 1998, quel que soit l’âge de l’assuré lors du versement des primes (et donc même s’il a alors plus de 70 ans ; BOI-TCAS-AUT-60, n° 80).
Abuser de questions visant à exploiter une faille potentielle dans le dispositif fiscal peut sembler de bonne guerre. Mais outre que l’échec est souvent la conclusion de telles tentatives, elles ont la vertu d’agacer… et de rendre les services en charges de répondre pour le moins suspicieux.
Or il ne s’agit pas – seulement – de jouer au chat et à la souris. Des aspects plus importants devraient l’emporter et une réponse ministérielle montre qu’à Bercy également, la raison fiscale peut l’emporter… sur la raison.
Adoption pas si simple
La question transmise par le député Carvounas a trait à une situation de départ peu banale : un homme a en effet adopté, sous la forme simple, en 2011, les deux enfants de son épouse actuelle… et les deux enfants de son ancienne épouse, avec laquelle il est divorcé depuis 1995. Envisageant une donation-partage, il s’interroge : quelle fiscalité pour les enfants adoptés sous la forme simple après le divorce ? Tarif en ligne directe… ou tarif entre personnes non parentes ?
Si par principe il n’est pas tenu compte du lien de parenté résultant de l’adoption simple pour la perception des droits de mutation à titre gratuit (CGI, art. 786), il existe des exceptions…
Sauvés des eaux ?
Au premier rang de celles-ci, la transmissions en faveur des « enfants issus d’un premier mariage du conjoint de l’adoptant », imposées selon le régime fiscal applicable aux transmissions en ligne directe (CGI, art. 786, 1°), de même que les descendants desdits enfants (tarif en ligne directe également entre l’adoptant et ses petits-enfants, enfants de l’adopté simple).
La formule n’est pas aussi réductrice qu’elle pourrait le paraître puisque quelques tolérances sont de mise (BOI-ENR-DMTG-10-50-80, n° 60) :
– l’expression « premier mariage » doit s’entendre au sens de « précédent mariage »
– et sont assimilés à un enfant « issu d’un premier mariage du conjoint de l’adoptant » l’enfant naturel reconnu du conjoint de l’adoptant (sous réserve d’une filiation légalement établie) et l’enfant ayant fait l’objet d’une adoption plénière par le conjoint de l’adoptant.
Un poil trop court…
Si le BOFiP annonce qu’il est « sans importance que le mariage de l’adoptant avec le père ou la mère de l’adopté soit antérieur ou postérieur à l’adoption » et que le tarif en ligne directe est applicable au bénéfice de l’enfant issu d’un premier mariage du conjoint de l’adoptant « même si le mariage entre son père ou sa mère et l’adoptant a été rompu par divorce », la tolérance vient mourir aux pieds de deux des quatre enfants, puisqu’elle joue seulement « à condition que l’adoption soit intervenue pendant le mariage » (BOI-ENR-DMTG-10-50-80, n° 60).
Les deux enfants du mariage en cours bénéficieraient donc du tarif en ligne directe, ceux du mariage précédemment rompu subiraient une taxation à 60 %.
Arguant d’une « réelle rupture d’égalité entre enfants adoptés pendant le mariage et enfants adoptés après sa dissolution », le député appelle de ses vœux une évolution favorable, « d’autant plus que la famille recomposée s’impose désormais comme le modèle familial le plus courant ». Voyons la réponse des services du Ministère de l’économie et des finances.
Jugement et valeurs
Malheureusement, la confirmation tombe aussitôt : la tolérance « ne saurait s’appliquer à une transmission à titre gratuit effectuée au profit d’un enfant adopté postérieurement au divorce entre l’adoptant et le parent de l’adopté ». Et l’explication dans la foulée : « dans ce cas de figure, la rupture préalable du mariage ne permet plus de présumer que l’adoption est effectuée en premier lieu afin de recréer une cellule familiale, et non pour des raisons patrimoniales » (RM Carvounas, JOAN 13 août 2019, p. 7475, n° 10137).
J’avoue ne pouvoir contenir mon étonnement devant l’opposition entre « recréation d’une cellule familiale » et raisons patrimoniales, avec une promotion discutable de la première et stigmatisation injustifiée des secondes.
Pardon de le rappeler, mais personne ne transmet pour acquitter des droits de mutation, quel que soit le tarif pratiqué. La libéralité, qui opère transfert gratuit de biens et droits, trouve sa cause dans les liens d’affection que les parties ont développés, par-delà les circonstances.
Pourquoi l’homme fait…
Je délaisse un instant la situation évoquée dans la question du député Carvounas pour évoquer une précaution nécessaire face à un client lorsqu’est envisagée l’adoption simple de l’enfant du conjoint. La chose est délicate, mais déterminante. Devant cette décision, il faut notamment que le parent soit conscient qu’il va adopter un enfant qui sera un jour peut-être celui de son ex-conjoint. En cas de divorce, cet enfant restera son enfant, avec tout ce que cela signifie (héritier réservataire et obligation alimentaire notamment).
J’en reviens à la réponse ministérielle. Si la volonté de « faire famille » en substituant par l’adoption simple un lien entre parent et enfant à un « lien » entre ex-beau-parent et ex-beaux-enfants existe, ce dont témoigne au cas particulier le temps séparant adoption et donation-partage envisagée (8 ans déjà), je la trouve au moins aussi légitime que dans la situation où le pariage aurait perduré (et pour dire mon sentiment, elle m’apparaît même louable).
Des droits à 60 % pour partie des enfants concernés par la transmission d’un patrimoine sont indéniablement de nature à contrarier les volontés du disposant. Compte tenu des conséquences d’une adoption, même sous la forme simple, présumer la bonne foi des parties me semble de bon aloi. Et l’administration serait toujours à temps de mettre en lumière d’éventuels abus, si jamais sa générosité était détournée de ce qui m’apparaît être son légitime objet – abus qui seraient à mon sens fort rares.
Faire perdre sans rien gagner !
Pour conclure sur ce point, je crois sincèrement que l’équité a bien davantage à perdre de cette position sévère que les finances publiques n’ont à y gagner. Je crois que le message est passé.
Rappeler enfin dans la réponse ministérielle les possibilités de taxation au tarif en ligne directe prévues au 3° ou au 3° bis de l’article 786 du CGI à des personnes qui, s’étant préalablement renseignées, ne réunissent certainement pas les conditions à remplir équivaut à mettre du sel sur la plaie.
Considérons néanmoins que la démarche est à la fois bienveillante et pédagogique et emboîtons le pas aux rédacteurs de la réponse. Bénéficient donc également du tarif en ligne direct :
– les adoptés mineurs au moment de la donation consentie par l’adoptant qui, pendant cinq ans au moins, ont reçu de celui-ci des secours et des soins non interrompus au titre d’une prise en charge continue et principale (CGI, art. 786, 3°)
– et les adoptés majeurs qui, soit dans leur minorité et pendant cinq ans au moins, soit dans leur minorité et leur majorité et pendant dix ans au moins, auront reçu de l’adoptant des secours et des soins non interrompus au titre d’une prise en charge continue et principale (CGI, art. 786, 3° bis).
L’administration considère ces situations comme « traduisant ainsi un lien affectif et relationnel fort entre eux ». Certes, mais j’ajouterai un dernier bémol au regard de la preuve à apporter.
En effet, on pourra trouver sévère l’exigence d’une preuve « fournie dans les formes compatibles avec la procédure écrite au moyen de documents tels que quittances, factures, lettres missives et papiers domestiques », avec exclusion de principe du témoignage (BOI-ENR-DMTG-10-50-80, n° 90).
Si les familles se recomposent désormais davantage que par le passé, l’administration a décidé de laisser sa doctrine inchangée. C’est fort dommage. Faisons l’effort d’être moins obnubilés par la fiscalité – nous ne nous en porterons d’ailleurs que mieux – pour inviter nos interlocuteurs à des échanges plus constructifs, basés sur des socles civils et économiques. Taquin, je soulignerai pour conclure que la préoccupation fiscale ne doit être, ni exclusive, ni même principale.
RM Montaugé, JOS 8 août 2019, p. 4215, n° 00450 :
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RM Carvounas, JOAN 13 août 2019, p. 7475, n° 10137 :
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