Cantonnement : précisé… et étendu ?

22 novembre 2020

Le cantonnement est un outil particulièrement utile pour le conjoint survivant et, plus largement, pour les personnes gratifiées à cause de mort. Créé par la réforme des successions et libéralités du 23 juin 2006, il permet de ne retenir que partie de ce qui est offert, proposant ainsi une souplesse appréciable qui mérite, à coup sûr, quelques précisions… et qui mériterait sans doute d’être étendu davantage encore. La balle est dans le camp du législateur.


Deux questions sur le cantonnement viennent d’être posées au Sénat…


Là où la loi du 3 décembre 2001 avait accru sensiblement les droits du conjoint survivant, la réforme des successions et libéralités avait préféré accroître le champ des possibles, en proposant un certain nombre d’outils nouveaux. Auparavant, les situations étaient figées et les interdits abondants. Pour les successions depuis le 1er janvier 2007, il existe donc plus de liberté pour une adaptabilité plus grande, en amont de la succession (avec par exemple la renonciation anticipée à l’action en réduction) ou directement au cœur de celle-ci. En écho, le conseil trouve une place accrue.

Le cantonnement est au premier rang de ces outils. Un choix bienvenu, responsabilisant la personne qui reçoit et l’autorisant à accepter la générosité déployée en sa faveur par le défunt à hauteur de ses besoins et/ou envies seulement, ces derniers pouvant être jaugés en situation. L’occasion de réduire la voilure, au profit des enfants en général, dans l’optique d’un équilibre familial dont le conjoint survivant se voit confier l’une des principales clefs.

Deux questions à propos de cette heureuse faculté, rédigées par votre serviteur, viennent tout juste d’être posées par le Sénateur Claude Malhuret, auquel le Doyen Jean Aulagnier les avait obligeamment transmises.

La première (JOS 19 nov. 2020, p. 5416, n° 18980) est relative à une éventuelle extension du cantonnement aux avantages matrimoniaux et aux droits légaux du conjoint.


Texte de la question :

« M. Claude Malhuret attire l’attention de M. le garde des sceaux, ministre de la justice, sur les vertus d’un outil introduit par la réforme des successions et des libéralités (loi n° 2006-728 du 23 juin 2006), à savoir le cantonnement.

Ce dernier permet notamment au conjoint de ne recevoir que partie des biens dont il a été disposé en sa faveur, cette limitation de l’émolument ne pouvant être considérée comme une libéralité faite aux autres successibles (C. civ., art. 1094-1, al. 2). La souplesse introduite par le dispositif, si elle est utilisée avec discernement, favorise les équilibres familiaux toujours délicats à définir par avance – lors de la rédaction d’un testament par exemple – et concoure ainsi à la paix des familles.

Devant ce constat satisfaisant, et bien qu’il ne s’agisse, ni dans un cas, ni dans l’autre, de libéralités, il est demandé s’il ne pourrait être envisagé d’étendre le cantonnement aux avantages matrimoniaux que sont le partage inégal et l’attribution intégrale de la communauté, ainsi qu’aux droits légaux du conjoint survivant ».


Si la faculté de prélèvement sur la communauté que constitue la clause de préciput (C. civ., art. 1515) peut être regardée comme un outil précurseur en matière de souplesse, puisque largement antérieure au cantonnement, il serait utile d’avoir une même capacité d’ajustement avec le partage inégal et l’attribution intégrale de la communauté, d’autant que modifier le contrat de mariage reste plus complexe que revoir testament ou donation au dernier vivant.

S’agissant des droits légaux, il est dommage que le conjoint survivant n’ait pas la même possibilité quand la loi définit ses droits que lorsqu’il les tient d’une disposition du conjoint décédé.

La seconde question (JOS 19 nov. 2020, p. 5417, n° 18981) s’intéresse à la possibilité de cantonner en usufruit lorsque de la pleine propriété a été offerte. La nature des droits, différente, entretient le doute. Et d’évidence, c’est fort dommage.


Texte de la question :

« M. Claude Malhuret attire l’attention de M. le garde des sceaux, ministre de la justice. Cette question porte sur le périmètre du cantonnement, outil introduit par la réforme des successions et des libéralités (loi n° 2006-728 du 23 juin 2006).

La doctrine reste divisée sur la possibilité de ne retenir qu’un usufruit alors même que la libéralité a été faite en pleine propriété – un résultat qui pourrait être obtenu par testament, en laissant le choix au légataire auquel seraient proposés des legs en propriété, d’une part, et en usufruit, d’autre part.

À défaut d’une telle possibilité, une solution sûre serait réservée à quelques-uns, alors même que le cantonnement, possible « sauf stipulation contraire du disposant », a été voulu pour le plus grand nombre.

Il lui demande de bien vouloir préciser sa position sur cette question, au regard des textes actuels et de leur éventuelle évolution. »


Il s’agit donc de sécuriser et d’étendre une possibilité qui, si elle ne relève pas déjà de la loi du 23 juin 2006, est à n’en pas douter parfaitement dans l’esprit de celle-ci, loi libérale s’il en est.

Les deux questions sont désormais en attente d’une réponse de la part du Ministère de la justice…