Les tribulations de l’usufruit en terrain miné

25 février 2021
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Deux décisions, en première instance et en appel, sont venues récemment nourrir le contentieux entourant la mise en œuvre de l’article 13, 5 du CGI. Pilonnage en règle de tout ce qui peut ressembler, de près ou de loin, à la cession d’un usufruit temporaire. L’occasion de faire un point – d’étape à n’en pas douter – et de donner rendez-vous, déjà, pour la suite. L’horizon est sombre. Mauvaise manœuvre aussitôt sanctionnée, combinaison qui succombe à la découpe, le contribuable n’est pas à la fête. Le dispositif anti-abus est d’autant plus redoutable qu’il frappe sans distinction. Ce qu’il ne faut pas manquer de rappeler.

Signalée dans La Quotidienne (Editions Francis Lefebvre), une décision de tribunal administratif (TA Nice, 30 déc. 2020, n° 1803411) a été rendue à propos d’une affaire dans laquelle un homme s’était réservé un usufruit viager sur les parts d’une SNC. Le seul hic : lors de l’apport dudit usufruit à une SAS, il a précisé qu’il était réalisé pour 30 ans.

La référence à l’article 619 du Code civile est aussi évidente qu’elle est ici déplacée. Si aux termes de ce texte, « l’usufruit qui n’est pas accordé à des particuliers ne dure que trente ans », la limite ne vise évidemment pas l’apport d’un usufruit viager.

30 ans de trop !

Pas en tous cas sans qu’une mauvaise inspiration – un excès de zèle ? – ne remette cette limite en selle… et ne transforme l’usufruit en usufruit temporaire, amenant l’administration à dégainer aussitôt, et avec succès, l’article 13, 5 du CGI, avec pour résultat 1,25 million d’euros taxés en BNC.

A l’évidence, il eut fallu apporter ni plus ni moins que l’usufruit viager et s’abstenir d’ajouter quelque limite que ce fut. Une occasion manquée et bien manquée.

Et voilà un second point pour l’administration (dans le même sens déjà, TA Montreuil, 4 déc. 2019, n° 1805676). Sans surprise. Et pour être honnête, on ne peut pas ne pas se demander si les professionnels qui ont accompagné ces opérations en maîtrisaient les tenants et aboutissants.

Mais passons à l’autre décision, toute fraîche, qui vient affirmer l’application du dispositif anti-abus en cas de cession concomitante de l’usufruit temporaire et de la nue-propriété.

Relayé aussitôt sur fiscalonline.com, un arrêt de cour administrative d’appel (CAA Marseille, 3e ch., 18 févr. 2021, n° 19MA03657) vient pour sa part confirmer une position qui avait été préalablement annoncée, suivant ainsi le cap désigné par Bercy.

D’une pierre deux coups, dont un mauvais…

La cession de l’usufruit d’un bien immobilier visée, en date du 17 décembre 2012, fait ainsi partie des premières à être soumises à l’article 13, 5 du CGI, entré en vigueur à peine plus d’un mois auparavant. Plus précisément, il s’agissait donc d’une cession concomitante d’un usufruit temporaire de 13 ans à une société (86 480 €) et la nue-propriété aux époux, associés de la société (101 520 €).

Le contribuable, arguant du fait qu’après cession de la propriété entière « il nest donc plus en mesure de céder à nouveau lusufruit temporaire », souligne pour sa défense ce qu’il considère comme une contradiction avec la véritable cible du dispositif, la fameuse et seule « première cession ». Il n’a pas convaincu sur ce point.

On notera au passage que la cour affirme qu’« il ne résultait pas de l’instruction que l’imposition en litige, établie en application du 1 du 5 de l’article 13 du code général des impôts, revêtait un caractère confiscatoire ni que le législateur, au regard de l’objectif poursuivi, aurait porté une atteinte disproportionnée au droit au respect de ses biens ». Le texte avait déjà, faut-il le rappeler, passé l’écueil du Conseil constitutionnel (Déc. n° 2012-661 DC, 29 déc. 2012).

Comme annoncé

Rapidement après l’entrée en vigueur du texte, l’administration avait eu l’occasion de présenter sa position dans une réponse ministérielle (RM Lambert, JOAN 2 juill. 2013, p. 6919, n° 15540, dont l’arrêt d’appel précise qu’elle « n’ajoute pas à la loi fiscale dont il est fait application » et qu’elle ne constitue pas « une doctrine administrative illégale »). Et elle ne présageait rien de bon.

Visant effectivement le cas où « le propriétaire cède concomitamment l’usufruit temporaire du bien à un premier cessionnaire et la nue-propriété à un second », elle a précisé à l’époque déjà qu’il y avait bien là une cession portant sur un usufruit temporaire et entrant dans le champ d’application du dispositif anti-abus, ajoutant que « la qualité du cessionnaire, la nature et l’affectation du bien sur lequel porte l’usufruit temporaire cédé sont sans incidence sur l’application de ce nouveau régime d’imposition ».

Les contribuables étaient prévenus. Les critiques d’une partie de la doctrine n’ont été prises en compte ni par l’administration, ni par le juge. Affaire à suivre, mais affaire mal embarquée. Tout juste peut-on signaler que la situation abordée, en imposant au cédant imposition sur les revenus, d’une part, et imposition sur les plus-values, d’autre part, souligne l’incohérence de la solution retenue.

La question qui fâche…

J’avais tenté, par le biais d’une question posée au Sénat, de faire prendre conscience de l’incohérence du dispositif, dont je proposais au passage la suppression, démarche qui avait sans doute peu de chances d’aboutir mais qui visait à mettre Bercy face à ses contradictions : l’article 13, 5 du CGI est-il l’outil approprié pour lutter contre les montages artificiels mis en place dans le seul but d’éviter l’imposition des revenus fonciers ?

L’inflexibilité de Bercy est alors apparue clairement, puisque pour le ministère la position prise « poursuit une double finalité : d’une part, elle contribue à lutter contre les stratégies d’optimisation fiscale détournant l’esprit de la loi ; d’autre part, elle vise à rétablir la réalité économique de l’opération en permettant l’imposition du revenu cédé par anticipation sous forme d’usufruit temporaire, en tant que revenu (et non plus comme une plus-value) » (RM Malhuret, JOS 10 sept. 2020, p. 4094, n° 15364).

Les deux affirmations, qui vont à l’encontre des réalités économiques et juridiques, sont aussi fausses l’une que l’autre, l’utilisation d’un ton péremptoire et d’un vocabulaire stigmatisant ne valant pas démonstration. Le message qui s’en dégage, confirmé dans les faits par les décisions évoquées supra, est on ne peut plus clair : non, c’est non ! Et l’administration n’a pas l’intention d’en démordre.

S’agissant de la demande des statistiques relatives procédures menées, il a été concomitamment répondu que « la direction générale des finances publiques ne dispose pas d’un outil statistique spécifique de recensement des contrôles portant sur ce dispositif mais l’existence même de cette mesure fait obstacle aux montages, soit par une application spontanée du régime et donc par le paiement de l’impôt, soit par une renonciation en amont aux montages qui n’est pas quantifiable ». Une politique contestable mais assumée : dissuasion, action/réaction. Un triptyque qui ne s’encombre pas d’équité mais se veut extrêmement efficace.


Retour sur une analyse récente de votre serviteur en la matière : Démembrement et abus de droit : pour un retour à la raison